« La fonction du chef consiste à veiller à ce que personne ne prenne le pouvoir »

Une réflexion intéressante sur la question du pouvoir, du centre, du « lieu vide ». Sans pour autant revenir à une société traditionnelle dont l’image ne pourrait qu’être « idéalisée », la question du pouvoir reste une question à toujours penser, et notamment du pouvoir de décision.

« Lorsque le Yi Jing amène à envisager le réel sous forme d’un champ d’énergie d’où l’individu, momentanément, ne se détache pas comme sujet séparé, il contribue à considérer sous un jour nouveau la question de l’identité.

En Occident, l’univers est pensée en fonction d’une séparation initiale. Que le modèle en soit le dieu transcendant de la Bible ou le monde platonicien des idées, « l’action (de l’homme) est la manifestation autonome de son individualité ; l’ordre est imposé du dehors par l’acte délibéré d’un sujet opérant pas intelligence et volonté. » l’individu est pensé comme entité séparée ayant autorité sur son existence et, au-delà, sur le sens et le monde. Cet esprit de domination, poussé à l’extrême, a les conséquences que l’on sait, au premier rang desquelles l’hypertrophie du moi et la conquête destructrice de la nature.

De telles outrances n’ont pas cours dans une société traditionnelle. Qu’il n’y ait pas d’identité naturelle est là une évidence, tant le sujet se révèle dans ces contextes comme résultant d’une construction sociale. Comme l’ont étudié différentes, l’individu n’y existe pas en dehors d’un réseau très structuré de relations claniques et sociales : « On assiste dans le sujet à une sorte de prolifération de personnalités alors que nous n’avons concédé cette division que sur le plan psychique et dans sa version névrotique. » Une belle illustration de cette absence de délimitation a été donnée par Pierre Clastres à propos de certaines tribus indiennes d’Uruguay, dans lesquelles la souveraineté est pensée selon des critères inhabituels pour un esprit occidental : la place du chef y est tenue à tour de rôle par différents membres de la tribu, et sa fonction consiste, non à exercer le pouvoir, mais à veiller à ce que personne ne prenne le pouvoir. Le lieu de la souveraineté est ici conçu comme un lieu vide, une place laissée volontairement vacante, dont l’homme n’est que le gardien.

Nous gagnerions à passer ainsi de l’idée de domination à celle de souveraineté.
Cette notion est abordée de façons multiples dans le Yi Jing ; elle y est notamment exprimée par le personnage du Roi, symbole de ce lieu vide où se tisse la relation entre Ciel et Terre. »

Yi Jing, le livre des changements.

Cyrille J.D Javary
Pierre Faure
Albin Michel pages 25, 26.

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